Quillan 1929 : chapeaux melons et casques à pointe

Un industriel en quête de publicité, une équipe de mercenaires et un Languedoc qui s’embrase chaque dimanche : ce sont les ingrédients de l’épopée de l’US Quillan dans sa quête du Brennus à la fin des années 1920.

« Je suis certain d’avoir plus de publicité en disputant le titre de champion de France qu’en placardant des affiches dans tout le pays ». Bien avant les Boudjellal, Lorenzetti et autres Walkinshaw, Jean Bourrel, petit industriel de l’Aude, avait compris que le rugby n’est pas qu’un jeu. C’est aussi un business.

Mercenaires
Jean Bourrel était alors un industriel le plus florissant du département de l’Aude avec son entreprise de fabrication de chapeaux, La maison du Tibet. Etabli à Quillan, un gros bourg de la vallée de l’Aude, il suivait  comme tous les Quillanais l’équipe de rugby locale. Mais à part un titre de champion de France de 3ème division en 1923, l’US Quillan avait du mal à se faire un nom dans un comité du Languedoc qui dominait alors le rugby français avec Perpignan, Narbonne, Carcassonne, Béziers ou Lézignan.

Si son bourg ne pouvait à lui seul constituer une équipe capable de conquérir le Brennus, Bourrel irait chercher les joueurs dont il avait besoin chez ses rivaux. Après tout, aucun règlement ne l’en empêchait.  En 1924, la FFR avait bien promulgué un règlement draconien  à propos des mutations  (l’équivalent des futures licences rouges) mais la décision fut annulée quelques semaines plus tard lors d’n conseil fédéral houleux. Les joueurs mutés étaient donc immédiatement qualifiés pour évoluer avec leur nouveau club.

Bourrel commença ses emplettes à l’été 1926 chez le voisin perpignanais. Pas moins de 6 joueurs internationaux (Ribère, Baillette, Montade, Galia, Cutzac et Soler), plus leur entraîneur Gilbert Brutus, rejoignaient Quillan.

Très vite, les mercenaires de Monsieur Bourrel, qui avaient l’obligation de porter le chapeau avant et après les matchs, grimpèrent les échelons et, le 20 mars 1927, ils retrouvaient Perpignan. Le match se joua sur un volcan en éruption. Les esprits étaient surchauffés et, selon l’expression de Paul Voivenel, les spectateurs assistèrent à un « rugby de muerte ». Sur une mêlée écroulée, le talonneur de Quillan, Gaston Rivière, était évacué inconscient sur une civière. Il mourrait peu après d’une fracture d’une vertèbre cervicale.

Beau jeu
Cela n’altéra pas les ambitions de Monsieur Bourrel qui poursuivait ses recrutements tous azimuts  sous l’œil compatissant de la fédération. Tour à tour, ce sont des Toulousains (l’ailier Barbazanges), des Lezignanais (le flanker Bigot), et surtout des Carcassonnais (Raynaud, Bonnemaison, Martres et Flamand) qui signaient pour Quillan.

En 1928, les « renégats » parvenaient jusqu’en finale du championnat de France mais échouaient face à la Section paloise (4 à 6). Malgré tout, cette équipe séduisait et, avec son rugby épanoui et résolument offensif, passait pour être une académie du beau jeu en ces temps plutôt brutaux.

La saison suivante fut à la fois celle de reconnaissance (pas moins de 5 Quillanais furent alignés ensemble au printemps 1929 avec le XV de France) et de la consécration.

Le 19 mai, au stade des Ponts Jumeaux de Toulouse, après avoir éliminé Agen en demi (17 à 3), l’US Quillan revenait en finale du championnat contre Lézignan. C’était la parfaite opposition de styles : d’un côté, une constellation de « mercenaires » réputés pour la qualité de leur rugby ; de l’autre, des gars du village, rudes et fiers de cette rudesse qu’ils cultivaient toute la semaine en partageant leur labeur avec celui des vignerons du village.

Dans leur demi-finale, les Lézignanais, dont l’entraîneur n’était autre que le « Sultan » Jean Sébédio, s’étaient imposés à Bordeaux face à Béziers au terme d’un match d’une extrême violence  (9 à 6). Cette violence provoqua d’ailleurs une polémique au point que les Biterrois, pourtant jamais réputés pour être des enfants de cœur, refusèrent désormais de jouer contre Lézignan.

Sébédio n’en avait que faire. Son seul objectif était désormais de décrocher ce titre de champion qui lui manquait et tous les moyens seraient bons pour y parvenir. Il fut ainsi sortir de l’hôpital  son talonneur Maurice Porra, qui s’était sérieusement blessé à la jambe contre Béziers et qui venait de se faire opérer. Il jouerait la finale avec un énorme pansement pour masquer le drain qu’on lui avait posé.

Ce derby des Corbières ne fut longtemps qu’une succession de bagarres et, à ce jeu-là, « Lézignan-la-matraque » était le plus fort. Peu après la mi-temps, les hommes de Sébédio prenaient  un avantage de 8 à 0 que le « Sultan » crut décisif. Il se tourna vers la tribune des officiels et clama : « Vous voyez, le pognon n’est pas tout en rugby ! »

La violence non plus et Quillan n’allait pas tarder à lui en faire la démonstration. Les avants de Lezignan avaient trop puisés dans leurs réserves. A mesure qu’ils baissaient leur garde, le rugby de Quillan se mettait en place. Deux essais de Bonnet et Raynaud emmenaient Quillan en prolongation où les hommes de Brutus terminèrent le travail de belle façon avec un essai de Baillette (11 à 8). Quillan était champion et le commerce de Monsieur Bourrel pouvait prospérer.

Scissions
Quillan joua les premiers rôles une saison de plus, atteignant la finale pour la 3ème fois de suite mais perdant son titre au terme de la prolongation face à Agen (0 à 4). L’année suivante, les Quillanais tombaient dès les quarts de finale.

Monsieur Bourrel se faisait moins généreux et les mercenaires reprirent leur paquetage comme Baillette qui signait au RC Toulon (il fut d’ailleurs le premier joueur à décrocher trois titres de champion de France avec trois clubs différents).

De son côté le comité du Languedoc ne parvenait pas à mettre un terme aux guerres de clans. De nouveaux clubs à l’image de Toulon, mais aussi Agen, le LOU ou Biarritz n’allaient pas tarder à reprendre le leadership du rugby français.

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