Grenoble 92/93 : dur, dur d’être un mammouth

DES AVANTS DE 120 KILOS, UN BUTEUR PLUS OU MOINS FIABLE ET LE VILAIN CANARD DU RUGBY FRANÇAIS. C’ETAIT LE RUGBY GRENOBLOIS D’IL Y A 20 ANS, UN RUGBY QUI FAILLIT ETRE SACRE CHAMPION DE FRANCE.

On veut toujours ce qu’on n’a pas. C’est d’ailleurs sur ce ressort que fonctionne le marketing : avoir plus, avoir mieux, avoir l’impossible. Ça fonctionne aussi dans le rugby. Les lents voudraient être rapides. Les petits voudraient être grands et costauds. Et même si vous avez pris l’habitude de gagner, surtout si vous avez pris l’habitude de gagner, vous désirerez plus que tout le titre qui manque à votre palmarès. Ça tient de la frustration. Et la frustration, c’est un peu l’histoire de Jacques Fouroux avec Grenoble.

Renouveau grenoblois
Quand il débarque à Grenoble au début de la saison 1992-1993, il vient de vivre une séparation difficile avec le XV de France. Mais avant cela, à part la coupe du monde, il avait tout gagné avec le XV de France. Pour compléter son palmarès, il ne lui manquait qu’un bouclier de Brennus.

Grenoble peut lui offrir cette opportunité. Le club a connu des moments difficiles mais depuis le milieu des années 1980, il va mieux. Sous la houlette de Jean Lienard, il a commencé à renouer avec les titres en remportant le Du Manoir en 1987, un Du Manoir dont il avait déjà été finaliste l’année précédente. Il va ensuite progresser de saison en saison dans les phases finales du championnat : huitième de finaliste en 1988, quart de finaliste en 1989 et 1990 et enfin, demi-finaliste en 1992.

Les mammouths
Pour franchir la dernière marche, Fouroux va appliquer ses bonnes vieilles méthodes : une grosse conquête. Il fait appel à des joueurs solides mais alors parfaitement inconnus : Olivier Merle, Gregory Kacala, Olivier Brouzet ou Fabrive Landreau. Surtout, il n’hésite pas à aligner quatre deuxièmes lignes dans son paquet d’avants. Pour Grenoble, c’est le début de l’ère des Mammouths.

Fort d’un attelage aussi puissant (le pack grenoblois dépasse souvent les 900 kg), Grenoble sort sans encombre de la phase qualificative et du nouveau top 16. Son jeu n’a rien de flamboyant mais les avants de Fouroux écrasent tout sur leur passage. La recette sera la même lors des phases finales : Toulouse en quart (19-17), puis Agen en demi (21-15) vont succomber à la puissance grenobloise.

Au lendemain de la demi-finale, on peut pourtant dans « L’humanité » que « Grenoble est un « miraculé » du rugby ». Le journaliste explique : « Sans buteur efficace au cours du temps réglementaire, Grenoble a bien failli être éliminé contre le cours du jeu. Avec un pack proche de 900 kilos, les Dauphinois ont constamment eu la maîtrise des opérations après le repos. »

Le mal-aimé
En fait, Grenoble est fort et comme souvent pour les forts, n’est pas aimé. La présence de Fouroux, en bisbille avec la fédération depuis son éviction en 1990, n’y est sans doute pas étrangère. Dans le petit monde du rugby, peu de monde souhaite voir cette équipe gagner. Surtout pas du côté de la fédération.

La semaine entre la demi et la finale est marquée par une polémique au sujet d’un arbitrage favorable aux hommes de Fouroux contre Agen. Bernard Lapasset, président de la FFR (et ancien adversaire de Fouroux pour ce poste), fustige ainsi le laxisme de M.Thomas sur le passage à vide des avants Grenoblois. En guise de réponse, le camp grenoblois s’étonne que, pour pouvoir assister aux deux demi-finales, le président Lapasset ait utilisé le jet privé des Castrais.

La finale entre Grenoble et Castres ne restera pas dans les annales du jeu. Mais cette fois-ci, les Mammouths grenoblois trouvent à qui parler avec les avants castrais qui leur rendent pourtant pas mal de kilos. Et même s’ils dominent les Grenoblois ne parviendront jamais à prendre le dessus, Velo et Hueber se montrant trop maladroits dans leurs tentatives de but.

Boulette et frustration
C’est un essai de Gary Whetton, le Black, qui fera la décision en faveur des Castrais, un essai particulièrement litigieux. Battus 11-14, les Grenoblois ne décoléraient pas après la rencontre, pestant contre cet arbitre partial et l’atmosphère pourrie qui a entouré l’avant-match. « Nous savions que nous partions avec neuf points de retard, expliquait Hervé Chaffardon, leur capitaine. Et que pour gagner, il fallait nous mettre à l’abri d’une décision arbitrale. Le résultat de ce soir nous prouve que nous avions raison de craindre le pire. »

Oubliant le manque de réussite de ses buteurs et la puissance contrée de son paquet d’avants pour expliquer la défaite, Fouroux, jamais avare de bonnes paroles, fut le plus virulent à l’encontre. « Il ne faut pas que je balance trop car la fédé serait capable de me radier », éructait-il. « Il ne faut pas croire qu’il y a de bons arbitres en France, poursuivait-il, puisque Bernard Lapasset et René Hourquet (le patron de la commission d’arbitrage) ont du leur donner des consignes avant la finale (…) »

Pour conclure, il déclarait : « On sait qu’on a perdu, mais on sait aussi qu’on pouvait gagner. Tous les finalistes ne peuvent pas en dire autant. Nous reviendrons au parc, et l’injustice dont nous avons été victime ajoutera à la détermination du groupe ». Depuis cette finale perdue, ni Fouroux, ni Grenoble ne sont revenus en finale du championnat. En 1994, l’ancien sélectionneur du XV de France décidait de sa lancer dans l’aventure de la rugby league à Paris, quittant Grenoble sans titre et toujours frustré.

SOURCES
Castres et Grenoble joueront samedi prochain une finale inattendue : L’humanité, 31 mai 1993
Ringeval : « Finale gachée ! »
Gaillard : « Gagné en mélée » 
Finale Castres-Grenoble 93 : l’insupportable aveu de l’arbitre Salles

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