Ecosse-Angleterre 1871

Quoi de mieux pour inaugurer cette rubrique consacrée aux grands matchs de rugby que de retracer l’histoire du premier test-match international. Voyage dans la Grande-Bretagne victorienne, au temps des pionniers.

Le 18 novembre 1870, l’Angleterre battait l’Ecosse au Kennington Oval par un but à zéro pour ce qui fut le premier match international de football. Ce match fut l’élément déclencheur de l’organisation du premier test-match international de rugby.

La victoire anglaise semblait en effet peu régulière aux yeux des Ecossais car les règles de la Football Asssociation étaient pratiquement ignorées dans leurs contrées. Si un match devait opposer Ecossais et Anglais dans des conditions de parfaite équité, ça ne pouvait être que sous les règles du Football Rugby, un sport beaucoup mieux implanté dans les écoles et universités d’Ecosse.

L’invitation écossaise
L’invitation fut lancée à l’initiative de A.H. Robertson (le capitaine de l’équipe de West of Scotland), F.J. Monroe (capitaine des Edinburg Academical), B. Hall Blyth (capitaine des Merchistonians), J.W. Arthur (capitaine des Glasgow Academical) et J.H. Catts (capitaine de la Saint Andrews Université). Les fédérations nationales n’ayant pas encore été créées, elle était adressée au secrétaire d’un des meilleurs clubs anglais, le club de Blackheath, avec une copie au « Bell’s Life of Scotland » et à « The Scotsman ».

Voici ce qu’on pouvait y lire :

« Monsieur,

Le sentiment général des joueurs de football écossais est que la valeur réelle de leur football n’a pas été justement représentée lors des récents matchs soi-disant internationaux. Nous considérons que les règles de l’Association, selon lesquelles le dernier match fut joué, ne peuvent permettre de former la meilleure équipe que l’Ecosse pourrait produire. Presque tous nos principaux clubs appliquent les règles de Rugby, et n’ont guère l’occasion de jouer à l’Association, à supposer qu’ils le désirent. Nous pensons donc qu’un match joué sous d’autres règles que celles généralement en usage en Ecosse, comme ce fut le cas du dernier, ne saurait représenter le football de notre pays.

Pour notre propre satisfaction, et dans le but de voir réellement ce que l’Ecosse pourrait faire contre une équipe anglaise, en tant que représentants des intérêts du football en Ecosse, nous adressons un défi à une équipe qui représenterait l’ensemble de l’Angleterre pour un match à vingt contre vingt, et selon les règles de Rugby, soit à Edimbourg, soit à Glasgow, à n’importe quel jour de la saison qui serait commode pour les joueurs anglais. Considérons-le comme la revanche du match qui s’est joué à Londres, ou si vous préférez, faisons-en un match différent. S’il peut être organisé nous garantissons à l’Angleterre une réception chaleureuse  et un match de première classe. »

L’organisation du match
Les dirigeants anglais commencèrent par faire la sourde oreille et ce furent les joueurs qui décidèrent de relever le défi. John Henri Luscombe, du club des Gipsies, qui avait appris l’information par la presse, prit l’affaire en main et contacta Frederic Strokes, le capitaine de Blackheath pour constituer la meilleure équipe possible et préparer l’organisation de ce match.

Aucune règle écrite ne régissant encore le rugby, ce n’était pas chose facile. En Angleterre comme en Ecosse, chaque école, club ou université s’était appropriée le jeu de Rugby tout en développant ses propres variantes dans la règle.

En décembre 1870, Edwin Ash, secrétaire du club de Richmond, décida de mettre un terme à cette cacophonie en réunissant les autres clubs pour « établir un code pratique qui régirait le jeu ». Le rendez-vous fut fixée au 31 janvier 1871 au Pall Mall Restaurant près de Trafagal Square. Il aboutit à la création de la RFU et à la constitution d’un groupe de travail, composé de trois juristes, tous anciens élèves du collège de Rugby, pour rédiger les règles du rugby. Mais le résultat de leurs travaux ne fut communiqué qu’en juin 1871, trois mois après la tenue de cet Ecosse-Angleterre.

La situation était la même en Ecosse où seuls quelques clubs (Edinburg Academical, Merchistonians et High School) pouvaient s’affronter selon des règles communes. Il y eut bien une tentative en 1868 pour légiférer sur le jeu tel qu’il se pratiquait en Ecosse et qui déboucha sur la rédaction d’un livre, « le livre vert », mais il ne reste aucune trace de l’ouvrage.

D’âpres négociations s’engagèrent donc entre Anglais et Ecossais pour organiser ce match. Elles étaient menées côté anglais par B.H. Burns, le secrétaire de Blackheath, et E.C. Holmes, membre de la toute jeune RFU. En février, il fut décidé de n’aligner que quinze joueurs par équipe mais un mois plus tard, on revenait à vingt, la norme en vigueur à cette époque car ce chiffre correspondait à l’effectif moyen d’une classe de collège.

Le 25 mars, le « Glasgow Herald » annonçait que le match se jouerait selon les règles du rugby scolaire. Mais, comme cela aurait été trop simple, on s’accorda pour y ajouter deux aménagements. Les remises en touche auraient lieu à l’endroit où la balle sortirait et non sur la parallèle du dernier rebond avant la sortie. D’autre part, la transformation des essais (décisive à cette époque car c’est elle qui validait l’essai au tableau d’affichage) serait tapée sur une ligne droite à partir de l’endroit où le ballon a été aplati.

Enfin, la durée du match fut fixée à deux mi-temps de cinquante minutes.

La constitution des équipes
Les Ecossais décidèrent d’organiser deux matchs pour composer leur équipe : le premier eut lieu le 11 mars à Glasgow, le second à Edimbourg le 20 mars avec à chaque fois les meilleurs éléments de ces régions. Au final, il fut décidé d’aligner une équipe comprenant trois arrières (T. Chalmers ; W.D. Brown ; A. Clunies-Ross), deux demis (T.R. Marshall ; J.W. Arthur ) et quinze avants (R Munro; J S Thomson ; A Buchanan ; A G Colville ; J Forsyth ; J Mein  ; R W Irvine ; A Drew ; W Cross ; J F Finlay ; F J Moncrieff – Capitaine ; G Ritchie ; W J C Lyall ; J L H Macfarlane ; A H Robertson).

Côté anglais, l’équipe faisait la part belle aux joueurs formés au collège de Rugby (la moitié de l’équipe). Tactiquement, on opta pour un dispositif un peu différent de celui des Ecossais avec trois arrières (Lyon ; Guillemard ; Osborne), trois demis (Tobin ; Bentley ; Green) et quatorze avants (McLaren ; Stokes (capitaine) ; Crompton ; Sherrard ; Gibson ; Turner ; Luscombe ; Turner ; Clayton ; Davenport ; Dugdale ; Hammersley ; Burns ; Birkett).

On notera la présence dans cette équipe d’un joueur de naissance écossaise, B.H. Burns. Il avait fait ses classes à Saint Andrews puis à l’université D’Edimbourg avant de devenir un des plus importants banquiers de la City. Pour l’anecdote, on relèvera aussi le nom de R.H. Birkett qui fut également international anglais de football en 1879 (lors d’une victoire sur l’Ecosse 5 à 4).

Une fois sélectionnés, tous ces joueurs prirent très au sérieux la préparation de ce match à l’image de J.H. Clayton. Pendant un mois, il s’astreignit pendant un mois à un entraînement très dur qui commençait le matin, avant le lever du jour, par un footing de quatre miles pendant lequel il s’efforçait de suivre le rythme que lui imposait son chien. Il s’imposa également un régime alimentaire qui excluait viande et bière.

Rendez-vous à Raeburn Place
Les deux équipes se retrouvèrent le 27 mars 1871 à Raeburn Place, le terrain de l’Académie d’Edimbourg. D’après le compte-rendu du « Scotsman », 4 000 personnes s’étaient rassemblées pour assister à l’événement. Les conditions atmosphériques étaient parfaites à l’exception d’un léger vent de nord-est.

A 15h, deux hommes pénétraient sur la pelouse, les deux « Umpires ». C’était en effet la coutume que l’arbitrage soit confié à un représentant de chaque équipe. Toute action litigieuse, et elles étaient nombreuses en l’absence de règles communes, était l’objet, au mieux, de très diplomatiques négociations, au pire, de vigoureux marchandages entre les deux hommes. L’ « umpire » écossais se nommait Hely Almond et n’était autre que le proviseur du collège de Loretto. Côté anglais, c’était un dénommé Ward.

Les quarante acteurs du match les suivaient, tous vêtus de chemises et de pantalons longs dont le bas était enfoui dans de hautes chaussettes. Les Anglais joueraient en blanc avec une rose sur le cœur et des chaussettes noires, les Ecossais en bleu marine avec un chardon brodé sur leur chemise.

Ce sont eux qui prenaient l’initiative au coup d’envoi. Mais ils durent faire face à une belle résistance anglaise et cinquante minutes plus tard, aucun point n’avait été inscrit.

Dès le début de la seconde mi-temps, les hommes au chardon reprenaient l’initiative. Le capitaine Moncrieff partit en dribbling dans la défense anglaise, l’une des plus belles actions de l’après-midi selon le reporter du « Scotsman », avant d’être arrêté près de la ligne d’en-but. Son action était conclue un peu plus tard par une poussée collective qui finissait dans l’en-but anglais, Ritchies se chargeant de pointer l’essai avec une bonne demi-douzaine de coéquipiers sur le dos. Les Anglais s’empressèrent de contester la légalité de l’action et comme les deux arbitres ne parvenaient pas à s’entendre l’essai ne fut pas accordé.

Le jeu reprenait par une mêlée qui vit le pack écossais enfoncer les Anglais dans leur en-but pour inscrire un nouvel essai. Les Anglais protestèrent de nouveau au motif que le ballon n’avait pas été talonné, une règle inconnue des Ecossais. L’essai fut cette fois validé mais pour avoir un effet sur le score, il devait être transformé. Cross s’en chargea et réussit sa transformation « dans un style admirable ».

Les Anglais réagissaient et enchaînaient les actions. A deux reprises, ils furent sur le point de marquer mais à chaque fois, Cross annihilait leurs initiatives. La troisième tentative devait être la bonne. Tobin s’écroulait dans l’en-but mais les hommes de Stokes rataient la transformation. Les Ecossais gardaient l’avantage.

Sur le renvoi, Chalmers entreprit une belle course dans les lignes anglaises et conclut son exploit d’un drop. Mais il ne devait pas être accordé car, dans sa course, il avait mis le pied en touche. Un peu plus tard, Crows, décidément très en forme en cet après-midi,  franchissait de nouveau la ligne d’en-but anglaise mais ratait la transformation. Le score en restait là et les arbitres mettaient un terme à ce match sur cette victoire écossaise.

Les Ecossais accompagnaient la sortie de leurs hôtes par une haie d’honneur et les deux équipes se retrouvaient un peu plus tard lors du buffet d’après-match. Les Anglais reconnaissaient la supériorité de leurs adversaires mais expliquaient aussi leur défaite par la fatigue d’un voyage harassant, en troisième classe et aux frais des joueurs.

Cela valait bien une revanche et elle eut lieu le 5 février 1872 à Londres, au Kennington Oval. Les Anglais l’emportaient par 8 à 3. Il fallut attendre 1879 pour qu’un trophée, la Calcutta Cup, soit mise en jeu pour ce rendez-vous désormais annuel.

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