Barbarians – All Blacks 1973 : la folie d’une grande heure

MATCH – Deux équipes généreuses… un essai insensé… des relances tous azimuts… des spectateurs et des téléspectateurs ébahis… Ce Barbarians – All Blacks de 1973 reste incontestablement le plus bel exemple du rugby romantique des années 1970.

« Nous étions vraiment inquiets : un public énorme à Cardiff nous attendait, chauffé par l’enjeu spectaculaire de la revanche, avec en face de nous des All Blacks en pleine bourre. Ils jouaient contre nous leur dernier match d’une tournée victorieuse de trois mois dans l’hémisphère nord… Quand on est arrivés sur le terrain, nos cœurs cognaient durs. »

Les méchants
Comme pour enjoliver un plus l’un des plus beaux moments de sa carrière, Gareth Edwards, le demi de mêlée du Pays de Galles et des Barbarians britanniques, a la mémoire un peu sélective à propos de ses adversaires. Il est vrai que comme toujours, les Blacks alignaient ce samedi 27 janvier 1973 une belle équipe avec des joueurs comme le troisième ligne et capitaine Kirkpatrick, l’arrière Karam, l’ailier Bryan Williams, le demi de mêlée Sid Going ou le deuxième ligne Whiting.

« Dans mon esprit, la rencontre avec les Barbarians devait être un prétexte à la pratique d’un rugby en fanfare. Mais il semble que nous allons disputer un cinquième test faisant suite aux quatre de 1971 »

Mais cette équipe n’était pas invincible et n’était surtout pas irrésistible. Non contente de pratiquer un jeu restrictif, elle avait su se faire détester en dehors des terrains comme le rappelle l’affaire Keith Murdoch.  Sur le terrain, les Blacks avaient eu raison des Anglais, des Gallois et des Ecossais mais avaient buté contre les Irlandais (nul 13 partout) dans leur quête d’un premier grand chelem britannique. Ils avaient même connu la défaite contre l’équipe de Llanelly (3 à 9).

Dans le rôle des méchants, ils étaient parfaits. Ils étaient même déterminés à la façonner un peu plus en rossant ces Barbarians et en piétinant l’image romantique qui leur est associé. « Dans mon esprit, la rencontre avec les Barbarians devait être un prétexte à la pratique d’un rugby en fanfare, déclarait Kirkpatrick avant le match. Mais il semble que nous allons disputer un cinquième test faisant suite aux quatre de 1971 ».

Les gentils
Le capitaine des Blacks fait référence à la tournée des Lions de 1971 qui s’était conclue par la première victoire des britanniques sur le sol néo-zélandais (deux victoires à une et un nul dans la série de tests).  Comment lui donner tort lorsque l’on passe en revue les joueurs alignés côté Barbarians en cet après-midi de janvier 1973 ?

Même s’il manque le maître à jouer Barry John (retiré du rugby international), l’ailier Gerald Davies (blessé) et le 3ème ligne centre Mervyn Davies (malade), ces deux derniers ayant déclaré forfaits le matin du match, il reste sur le terrain le meilleur des rugbymen des îles britanniques : le pilier écossais Carmichael, les Irlandais McLoughlin (pilier), McBride (2ème ligne), Slaterry (3ème ligne) et Gibson (centre) et l’ailier anglais Duckham, sans oublier une demi douzaine de ces Gallois qui dominaient alors le tournoi des cinq nations (JPR Williams, John Bevan, John Dawes, Phil Bennett, Gareth Edwards et Derek Quinnell). Mais fidèles à leurs principes, les sélectionneurs des Barbarians avaient aussi convié à la fête des joueurs sortis de nulle part, sans sélection internationale, avec le 2ème ligne anglais Wilkinson et le 3ème ligne gallois Tom David.

« L’attente du public était sensationnelle parce que les Lions avaient pratiqué un excellent rugby aux antipodes et qu’ils avaient gagné pour la première fois une série de tests chez ces Néo-Zélandais »

« Le noyau des Barbarians provenait de l’équipe des Lions britanniques qui avaient joué la tournée en Nouvelle-Zélande de 1971, reconnaissait volontiers Gareth Edwards. L’attente du public était sensationnelle parce que les Lions avaient pratiqué un excellent rugby aux antipodes et qu’ils avaient gagné pour la première fois une série de tests chez ces Néo-Zélandais. »

C’est sans doute pour cette raison que les Barbarians firent sortirent de sa retraite internationale John Dawes. « J’ai reçu un appel le dimanche précédent le match, se souvient le centre gallois. Mon choix n’était pas aussi simple que vous pouvez le penser. Je m’étais retiré du circuit international après la tournée victorieuse des Lions de 1971, équipe dont j’étais le capitaine, un moment de gloire unique dans une carrière. Mon club des London Welsh devait jouer un match important ce jour-là en coupe contre les London Scottish. « Je vous rappelle demain », ai-je répondu. Mon club m’a finalement laissé partir avec les Baa-Baas. Cela aurait été impossible de nos jours. »

Coaching
Dawes posa tout de même une condition à sa participation : la présence de Carwyn James, l’entraîneur gallois qui avait façonné la sélection des Lions de 1971. La présence d’un entraîneur auprès des Barbarians allait à l’encontre de la tradition mais personne n’y trouva à redire, à part peut-être les Blacks qui protestèrent. Mollement.

« L’entraînement était calamiteux. Chaque fois qu’on essayait des combinaisons, des mouvements en passes, le ballon tombait à terre. Un paquet de maladresses »

L’équipe fut rassemblée le jeudi matin sur les installations du Penrath RFC, à quelques kilomètres de Cardiff. Mais Carwyn James n’étaient pas présent, pas plus qu’il ne le fut le vendredi. Les joueurs se prirent donc en main mais le résultat ne fut guère concluant. « Durant ces deux jours de préparation, l’entraînement était calamiteux. Chaque fois qu’on essayait des combinaisons, des mouvements en passes, le ballon tombait à terre. Un paquet de maladresses. »

« Nous savons tous ce que tu sais faire. Maintenant, il faut que tu le montres au monde entier »

John Daves prit l’initiative d’inviter Carwyn James à prendre un café le samedi à 11 heures, à l’hôtel où les Barbarians étaient rassemblés. Dans une petite pièce, l’entraîneur s’adressa enfin aux joueurs, leur rappelant son sempiternel message, « Play your natural game » (Jouez votre jeu). « La série était définitivement terminée, témoigne Fergus Slaterry, et notre entraîneur Carwyn James nous a dit que c’était notre boulot de prouver quelle était la meilleure équipe ». S’adressant plus particulièrement au jeune Phil Bennett, sur lequel pesait la responsabilité de remplacer Barry John, il lui dit : « nous savons tous ce que tu sais faire. Maintenant, il faut que tu le montres au monde entier ».

« That try ! »
Ces paroles n’allaient pas tarder à faire effet. « En entrant sur le terrain, on redoutait un peu le déroulement de la partie, confiait Gareth Edwards. Les deux-trois premières minutes ont été dingues : le ballon allait et venait d’un camp à l’autre. C’était complètement désordonné, ça attaquait à tout va avec de grands dégagements au pied des deux côtés ! J’ai senti que les deux équipes devaient poser le jeu. »

« C’est à ce moment que tout se produit. Bennett doit taper en touche. Il en a le temps, il n’a rien d’autre à faire dans sa position. Mais il ne le fait pas et le match devient fou »

Alors, quand Bennett réceptionna un grand coup de pied de Bryan Williams à 10 mètres de son en-but,  tout le monde crut que le moment de souffler était venu, que l’ouvreur des Barbarians allait dégager en touche pour donner un peu d’air à son équipe. « C’est à ce moment que tout se produit, confie George Domecq, l’arbitre du match. Bennett doit taper en touche. Il en a le temps, il n’a rien d’autre à faire dans sa position. Mais il ne le fait pas et le match devient fou. »

« Je pensais moins à ce moment-là à enclencher une action d’essai qu’à éviter la menace d’Alistair Scown que je sentais venir sur ma droite, se rappelle Bennett. Mon crochet n’avait d’autre but que de l’éviter. » Après avoir effacé Scown, il efface le centre Hurst et sur une nouvelle accélération, il élimine Kirpatrick et Urlich avant de servir JPR Williams.

« Je pense que si j’avais joué pour l’Angleterre, j’aurais donné un coup de pied »

Malgré une cravate de Bryan Williams, l’arbitre laisse jouer et l’arrière gallois parvient à transmettre à son talonneur John Pullin. Sur cette action de légende, il fut le seul joueur non gallois à toucher le ballon et lui aussi fut touché par la magie des Barbarians. « Je pense que si j’avais joué pour l’Angleterre, j’aurais donné un coup de pied » concéda-t-il.

Au lieu de cela, il servit immédiatement John Dawes. Le centre redressait sa course pour libérer un couloir à ses partenaires. Il éliminait le demi de mêlée des Blacks, Sid Going, et passait à son intérieur à John David. Mis au sol à hauteur de la ligne médiane, il parvenait à transmettre dans sa chute à Derek Quinnell lancé à son extérieur. Les Blacks ne le rattrapaient que sur leurs 22 mètres mais un nouvelle fois, bien que ceinturé, le Gallois parvenait à faire vivre le ballon en l’envoyant d’une main vers l’ailier John Bevan. La défense néo-zélandaise fond sur lui mais c’est Gareth Edwards, lancé à pleine vitesse, qui intercepte la balle et s’en va aplatir en coin.

« Aujourd’hui encore, quand je revois mon essai, je me dis : « Wow ! Je ne peux pas croire que c’est arrivé ! » confiait Gareth Edwards. Je me souviens du grondement fantastique de la foule. Moi qui avait si souvent joué à l’Arms Park… Là, c’était proprement incroyable ! J’ai souhaité très fort qu’on jouât-là les cinq dernières minutes du match parce qu’on voulait vraiment battre ces Néo-Zélandais. Or, il restait 75 minutes à jouer. »

Hors systèmes
Et c’est 75 minutes furent certainement ce qui se fit de mieux en matière de rugby inspiré. « Cet essai nous a inspiré pour le reste du match, poursuit Edwards. Ça a été un catalyseur : toutes nos tensions, tous nos doutes se sont dissipés d’un coup. Nous avons ensuite réalisé des actions offensives de grande qualité. Grâce à cette action collective victorieuse, on redevenait une vraie équipe. Ça nous a ressoudés. »

Pendant une mi-temps, les Barbarians donnèrent le tournis aux All Blacks. A la demi-heure, une pénalité de Bennett portait leur avantage à 7 à 0. Sept minutes plus tard, Slattery pointait un deuxième essai transformé par Bennett (13 à 0). Sur le coup d’envoi, c’est l’ailier Bevan qui y allait de son essai. A la mi-temps, ces Blacks que certains avaient cru invincibles accusaient un retard de 17 points !

« Bien que le match reste dans les mémoires pour la cascade d’attaques qui a été déclenchée, le facteur le plus significatif, celui sur lequel l’équipe des Barbarians fonda son succès, reste sa capacité à endurer sans cesse la pression néo-zélandaise », rappelle John Dawes. Car en seconde période, ce sont bien ces Blacks qui eurent l’initiative du jeu.

« Les Blacks doivent être félicités pour être entrés dans cette joyeuse partie en jouant avec plus d’enthousiasme qu’ils ne l’avaient fait tout au long de cette tournée »

En deux minutes (de la 46ème à la 48ème), ils inscrivaient une pénalité et un essai qui les ramenaient à dix points (7 à 17). A la 70ème, Batty inscrivait pour les Blacks son deuxième essai de l’après-midi. L’écart n’était plus que de six points (11 à 17). Mais les Néo-Zélandais avaient perdu leur demi de mêlée, Sid Going, blessé à la jambe. Si son remplaçant, Colling, était un meilleur passeur, il ne parvint pas à impulser une nouvelle dynamique dans le jeu des Blacks.

Alors, à sept minutes de la fin, les Barbarians eurent une nouvelle inspiration. Certainement inspiré par l’atmosphère du match, l’Anglais Duckham imita Bennett pour une folle relance. La balle passa de nouveau dans de nombreuses mains avant de finir dans celles JPR Williams dont l’essai clôturait le score : 23 à 11 en faveur des Barbarians.

« J’ai passé les trente dernières années à essayer d’oublier ce satané match »

Selon John Dawes, « les Blacks doivent être félicités pour être entrés dans cette joyeuse partie en jouant avec plus d’enthousiasme qu’ils ne l’avaient fait tout au long de cette tournée ». « Les Blacks se sont mis à très bien jouer, surtout en deuxième mi-temps, confirme Edwards. Techniquement, on l’a emporté parce qu’on a très bien défendu en deuxième période. Avoir souvent joué ensemble auparavant a été important dans notre victoire à l’Arms Park et sur l’action d’essai. (…) La camaraderie et l’esprit d’équipe : c’est ce qui faisait la force des Lions. Et donc celle des Barbarians. »

Côté néo-zélandais, c’était un peu la soupe à la grimace mais on avait aussi conscience d’avoir participé à l’un des plus beaux matchs de rugby jamais disputé. « J’ai passé les trente dernières années à essayer d’oublier ce satané match » confiait Ian Kirkpatrick en 2003. Il poursuivait : « La plupart des Kiwis admettent aujourd’hui que c’était un match merveilleux malgré le résultat. Mais si vous regardez la force du rugby britannique à cette époque, il faut reconnaître qu’on ne s’en est pas mal tirés. »

SOURCES
Le jour où j’ai marqué l’essai du siècle : GQ, juillet2009
Le jour où le rugby fut visité par la grâce : Midi Olympique, janvier 2003
30th anniversary of the Barbarians’ greatest day : scrum, janvier 2003
Why this game was the finest ever played : the guardian, 25 janvier 2003
Why has rugby shortchanged the Barbarian legends of ’73 : the independent, 3 décembre 2004

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Une réflexion sur “Barbarians – All Blacks 1973 : la folie d’une grande heure

  1. muscat dit :

    ou c procurais c math de legende

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